Boris Grebille vous êtes le directeur de l’IESA arts&culture, une école qui forme aux métiers de la culture et du marché de l’art. La période que nous venons de vivre a dû être très intense pour vous ! En tant qu’acteur de l’Enseignement Supérieur, quels enseignements tirez-vous de cette période ?

Interview Femmes de Culture – Octobre 2020

C’est en effet une période complexe qui n’est malheureusement pas terminée. Elle a l’avantage de mettre en lumière les contradictions de nos sociétés tout à la fois très attachées à avoir des réponses et à ne pas les accepter. L’art, dont le paradigme est le questionnement, s’est révélé extrêmement précieux dans cette crise, en permettant de reposer les questions fondamentales et, particulièrement pour nous, celle de la place de l’art et de la culture dans notre manière de faire société. La question de la médiation par exemple a été au cœur des innovations des entreprises et institutions culturelles. Dans un monde confiné ce questionnement de notre rapport à la relation qui fait grandir et émancipe a été essentiel.

Cette période a aussi profondément bouleversé notre rapport à la culture, et oblige le secteur à innover à marche forcée, est-ce que cela a aussi une incidence sur le contenu de vos programmes pédagogiques ?

Oui, évidemment, tant sur la forme que sur les contenus pédagogiques. Je parlais de médiation et la formation contient elle aussi des formes de médiations. Nos étudiants qui se sont retrouvés à suivre leur cours à distance ont, comme les institutions culturelles, été confrontés à cette notion de relation « empêchée » comme on parle de publics « empêchés ». Ils ont donc dû intégrer les innovations technologiques non pas comme une obligation culturelle mais comme un moyen de mettre en œuvre autrement les liens sociaux fondamentaux. Pour notre part, nous avons également analysé ces données nouvelles et leur application au champs culturel et les avons intégrées à nos cursus.

Vous qui êtes au contact d’une jeunesse qui se destine à la culture pouvez-vous nous dire comment ils perçoivent ces mutations ?

La jeunesse n’est pas un groupe homogène et les réactions de nos étudiants ne sont donc pas identiques. L’insouciance, la crainte, l’aphasie ou le désir d’agir sont mêlés, parfois même au sein des mêmes personnes. Mais on sent nettement que le besoin de sens qui était déjà largement présent s’est encore intensifié. La culture comme divertissement n’est plus leur enjeu, ils cherchent à lui redonner une place essentielle qui réponde aux grands questionnements contemporains. Les mutations qu’ils perçoivent sont finalement celles dont ils se saisissent. L’hyperprésence des images et des réseaux qu’ils utilisent devient source de créativité plutôt que d’uniformisation. Ils transforment l’injustice sociale et économique criante qui n’arrive plus à s’excuser elle-même en points de rupture permettant l’invention de nouvelles formes d’expressions relationnelles. Ils arrivent même à transfigurer la question angoissante de l’écologie et d’un avenir passablement compromis en source d’espérances concrètes, moins idéologiques qu’expérimentales. Les mutations ne leur font pas peur. Ils les appréhendent non comme un progrès linéaire mais comme une multitude de subversions.    

Les effectifs des établissements sont majoritairement féminin (61% selon les chiffres du rapport) or on voit peu de femmes à des postes de direction, vous avez un message pour ces jeunes femmes que vous formez ?

Les choses n’évoluent en effet malheureusement pas assez vite dans ce domaine, même, et c’est malheureux, dans le secteur culturel. Pour autant, il y a de plus en plus de femmes qui marquent notre secteur et qui deviennent ainsi des modèles de référence pour les jeunes femmes que nous formons. J’ai envie de leur dire que dans un monde en crise, c’est la réussite des projets qui fait foi et qu’en ce sens elles arrivent à un moment propice pour bouleverser les schémas établis. Les digues du vieux monde ne tiennent plus, on le sent et c’est salvateur. Le temps des réponses s’achève et je crois que celui des questionnements se déploiera dans la complémentarité des genres. Les femmes devront certes continuer à lutter, car rien n’est encore acquis et les petites avancées ne sont malheureusement pas toujours définitives. Mais à l’image des femmes qui, aujourd’hui déjà, portent des projets essentiels pour la culture, elles seront demain plus nombreuses à des postes de direction.

INTERVIEW POUR FEMMES DE CULTURE – OCTOBRE 2020