Agnès Saal, vous avez été nommée en août 2018 « haut fonctionnaire à l’égalité, à la diversité et à la prévention des discriminations, auprès du secrétaire général du ministère de la Culture » selon vous quel rôle le statut de la culture lui confère spécifiquement sur ces questions ?
Je suis Haute fonctionnaire Diversité-Egalité et je tiens à la féminisation de l’adjectif ! Cette responsabilité est éminente et passionnante précisément parce que je la conçois comme une démarche inclusive, intégrée, qui englobe l’interne et l’externe. Je veux susciter la prise de conscience d’abord, puis la conviction partagée que ces discriminations et inégalités d’un autre temps, encore si prégnantes pourtant, sont intolérables, inacceptables, et privent nos sociétés de talents magnifiques.
Et c’est tout aussi vrai au sein des services et établissements du ministère, des structures culturelles publiques et privées, des collectivités territoriales, que dans les politiques mises en œuvre, dans les productions, les programmations…
L’obtention des labels Diversité-Egalité de l’Afnor par le ministère et une vingtaine d’établissements publics permet d’outiller la démarche, mais au-delà, je procède par la mobilisation de celles et de ceux qui considèrent, comme moi, que l’égalité réelle ne constitue pas un voeu pieux mais une urgente nécessité.
Dans la « feuille de route égalité 2018-2022 » du ministère de la Culture il est noté que « la promotion de la diversité et de l’égalité a vocation à irriguer l’ensemble des politiques culturelles » concrètement comment cela se traduit-il ?
La Feuille de route Egalité retrace le chemin accompli depuis 2018 et fixe les orientations jusqu’en 2022 : nommer les femmes aux postes de responsabilité, leur permettre d’accéder aux moyens de création et de production, atteindre l’égalité salariale, lutter contre les violences et le harcèlement sexuel et sexiste, mieux accompagner les jeunes femmes -majoritaires dans nos écoles – vers les métiers culturels, déconstruire les stéréotypes sexistes dans les contenus, dans l’enseignement…
L’ambition est haute, et aucun secteur n’est oublié : de l’architecture au jeu vidéo, des arts visuels à l’édition scolaire et à la presse, du cinéma et de l’audiovisuel au spectacle vivant…
Si nous regardons spécifiquement le cas de l’égalité femmes-hommes, il semble que les industries culturelles ont encore du chemin à parcourir. Qu’il s’agisse de l’invisibilité des femmes (le rapport de la députée Céline Calvez sur l’invisibilité des femmes dans les médias pendant la crise sanitaire ou encore le manque de reconnaissance artistique pointée par le rapport annuel[1]), des violences sexuelles et sexistes (dans le cinéma on pense au phénomène #MeToo et l’affaire Adèle Haenel, dans le jeu vidéo les différentes affaires en cours chez Ubisoft), ou encore de l’accession des femmes à des postes à responsabilité (et ce dans tous les domaines) ont est loin de l’égalité parfaite… Comment le ministère accompagne ces différentes industries pour que les choses changent ?
Le ministère et ses opérateurs (CNC, CNM…) disposent de moyens puissants, pour peu qu’ils veuillent s’en saisir : l’éga-conditionnalité en est un, dans la mesure où l’octroi d’un soutien public, financier, réglementaire, fiscal, peut et doit – à mon sens – être assorti d’engagements, de moyens au moins, de résultats de préférence, mesurables, en faveur de l’égalité et de la diversité. De même, le ministère a conçu et met à disposition un arsenal complet de mesures (procédures pénales et disciplinaires, formation, accompagnement ciblé) pour aider les institutions publiques et privées à lutter résolument contre les VHSS.
Pour vous, en quoi une initiative comme « 100 femmes de culture » est nécessaire dans le paysage culturel actuel ?
100 femmes de culture ? Il y en a tant d’autres… l’initiative jette un coup de projecteur sur des parcours et permet de mettre en avant des « rôles modèles » susceptibles de déclencher des vocations ou de convaincre que les femmes sont tout aussi légitimes et talentueuses que les hommes.
Mais, de mon point de vue, ce ne sont pas les femmes qui sont en cause, mais bien la systémie « patriarcale » qui, encore aujourd’hui, érige le masculin en norme…
Enfin, vous êtes cheffe de la mission Expertise culturelle internationale de la France, alors que la diplomatie culturelle a radicalement muté pourquoi est-il plus important que jamais de renouveler notre stratégie en la matière et quels sont les axes stratégiques à adopter ?
Cette mission vise à valoriser les compétences, les savoir-faire, l’expertise culturelle sur les marchés internationaux, en prospectant la demande, de plus en plus nombreuse et diversifiée, en offrant un point d’entrée aisé et identifié aux projets et aux financements, en « assemblant » les équipes d’expert.e.s pour répondre le plus finement possible aux besoins exprimés : de l’Éthiopie au Bénin, de Carthage à Yaoundé, des Balkans au Maroc, en deux ans, je crois que cette jeune Mission a démontré son utilité.
Incontestablement, au-delà des ressources financières que ces projets procurent aux établissements, mais aussi aux entreprises, mobilisés, il s’agit de transmettre à nos partenaires – sans arrogance – des savoir-faire, mais aussi une certaine vision du rôle sociétal, économique, politique, de la culture.
[1] https://www.culture.gouv.fr/Actualites/Egalite-femmes-hommes-des-disparites-persistantes
INTERVIEW POUR FEMMES DE CULTURE, OCTOBRE 2020