Nous sortons d’un confinement, qui en figeant les Hommes et l’économie, a eu des conséquences directes sur tous les secteurs avec une acuité particulière sur le monde de la culture. Pour vous, quels sont les enseignements que le secteur doit tirer de cette période ?
Le confinement et ses suites sont un désastre pour la culture comme pour la majorité de secteurs. En revanche le besoin de culture qui s’est manifesté sur les plateformes, les chaines ou pour le livre est une preuve, heureuse, que la culture est un refuge. Le gouvernement a pris la mesure de l’importance de ce secteur.
L’analyse de cette période est différente évidemment en fonction de la position qu’on adopte. Prenons les effets positifs d’abord ! Pour l’audiovisuel, la période du confinement a été marquée par un grand retour de la télévision linéaire. Les gens passaient à nouveau un temps de qualité autour de la télévision alors qu’il est connu depuis ces dernières années, qu’il est de plus en plus difficile de se retrouver tous en famille à un même carrefour horaire. Les plateformes des chaînes historiques ont enregistré des records.
Pour le livre, on a constaté que les librairies ont été prises d’assaut à la sortie du confinement en mai. Si on compare les chiffres avec ceux des mêmes semaines en 2019, le chiffre d’affaires des librairies a fait un bond de 100%. Alors oui le livre a certainement bénéficié de la fermeture des salles de spectacles et de l’interdiction des concerts mais ce qui est certain c’est que privés de culture pendant deux mois nous avons eu besoin de renouer avec celle-ci. Maintenant ces nouvelles positives ne doivent pas non plus nous aveugler, et les défis restent nombreux pour le secteur culturel. Les plateformes menacent plus que jamais les industries culturelles. Pendant la période de confinement la valorisation de Netflix a gagné 30% et 15% du trafic internet mondial était occupé par YouTube, qui est le plus grand diffuseur de vidéos, et certainement pour les jeunes, la première chaîne de télévision. Sans oublier Amazon qui représente 22% du marché du livre.
Si l’on regarde les institutions culturelles qui ont déployé de nombreux moyens numériques comme les visites virtuelles de collections des musées, l’enjeu maintenant est de construire une stratégie pour deux offres : une expérience numérique et une expérience sur place…
Vous êtes depuis juin 2020 présidente de l’École nationale supérieure de la photographie à Arles, où souhaitez vous mener cette jeune école ? Pourquoi la photographie est-elle un médium artistique qui vous attire particulièrement ?
J’aime la musique comme tous les autres arts, j’aime l’art en général et je suis incapable d’en faire un classement ! L’intériorité des émotions est différente. J’ai été très heureuse qu’on me propose la présidence de l’école de photographie d’Arles car j’ai un très grand respect pour cette école et le travail de sa directrice, Martha Gilli, que j’ai connue quand elle était directrice du Jeu de Paume. J’aime beaucoup son approche de la photographie, son attachement à l’hybridation des arts. Cette ouverture qu’elle veut donner aux étudiants en les encourageant à créer des passerelles entre les arts est quelque chose qui me semble aujourd’hui fondamental.
Le projet qu’elle porte s’inscrit dans des synergies fortes aussi bien localement qu’avec d’autres institutions. Elle développe avec Diane Dufour la directrice de l’espace parisien Le Bal un projet de formation à l’éducation artistique et culturelle à la fois des photographes et des élèves. C’est quelque chose que je trouve très précieux.
Mon rôle donc c’est être un soutien, au service de la direction et du projet pour faire passer les messages aux interlocuteurs que ce soit la ville, la région ou l’état et les professionnels. Créer une harmonie de l’ensemble des partenaires.
Au passage, je voudrais souligner que Le Bal est une institution que j’adore, je l’ai beaucoup suivie quand j’étais à la Mairie de Paris, Diane Dufour est elle aussi une femme exceptionnelle. Martha comme Diane d’ailleurs sont des femmes très modernes dans leur approche. C’est l’enthousiasme et la transmission qui les guident et je crois qu’à notre époque trouble, l’enthousiasme, le désir de la transmission et l’éducation de la jeunesse sont des choses qui doivent primer sur d’autres qualités.
Vous êtes aussi présidente du festival « Les Correspondances de Manosque », un festival qui existe depuis 1999 et qui souhaite mettre en avant une « littérature vivante. » Quel est votre attachement à la littérature, à ce festival ?
J’en suis présidente depuis 2012, et comme pour l’Ecole de Photographie de Arles, je vois mon rôle comme un rôle de soutien absolu, de facilitateur de discussion entre les différents acteurs et partenaires. Olivier Chaudenson et Evelyn Prawidlo les deux co-directeurs de ces Correspondances font un travail remarquable. Ici encore, l’hybridation est au rendez-vous. C’est un festival très généreux, il se déroule en plein air, il est gratuit, ils ont un partenariat depuis l’origine avec l’association « Eclat de lire » à destination de la jeunesse. On sent avec ses équipes une liberté de l’imagination, une profusion de l’offre artistique. Les rendez-vous sont nombreux et divers. La lecture à haute voix occupe une place prépondérante, une autre manière d’accéder au texte qui apporte une dimension supplémentaire ; et les rencontres et les débats avec les auteurs sont autant de manière de redécouvrir les livres et les textes.
Cette année, je pense notamment à la grande lecture de La demoiselle à coeur ouvert de Lise Charles par Micha Lescot et Anna Mouglalis ou aux débats avec les auteurs de la rentrée littéraire prolixe cette année. Il faut dire que cette édition était très particulière, on a senti un vrai plaisir aussi bien du côté du public que des auteurs de se retrouver.
Vous avez une carrière riche dans le domaine de la culture, quel regard portez-vous sur le rôle des femmes dans ce secteur ? Que représentent pour vous ces « 100 Femmes de culture »?
existe-t-il un art au féminin ? Je n’ai pas forcément de réponse mais je pense qu’il faut donner aux femmes l’opportunité de s’exprimer autant que les hommes. Il est important et indispensable de porter le combat de l’égalité, de toutes les égalités : des salaires, des chances, l’égalité de carrière ; et ce qu’on soit artiste ou simple professionnelle.
C’est pour ça que je soutiens « 100 femmes de culture ». Ce que j’aime particulièrement c’est la diversité des profils : des femmes confirmées ou en devenir, venant de grandes ou de petites structures… et ce qui les réunit, au final, c’est le courage. Car c’est du courage qu’il faut aux femmes pour pouvoir prendre pleinement leur place dans une société qui ne leur en laisse pas forcément.
Encore aujourd’hui on le voit elles se battent pour exister. Et je trouve bien qu’il y ait un prix qui salue d’une certaine manière ce courage.
INTERVIEW FEMMES DE CULTURE – OCTOBRE 2020