Une chose est sûre, en ces temps de Covid19, la technologie est encore une fois vue comme la panacée et son usage se décline des perspectives les plus réjouissantes au plus inquiétantes.

Si les technologies numériques ont permis à beaucoup d’entreprises d’assurer la continuité de leur activité (des entreprises pouvant pratiquer le télé-travail aux restaurateurs réinventant leur carte pour l’adapter aux besoins de la livraisons en passant par les foires d’art qui ont ouvert en ligne), à la majorité des individus de continuer une certaine forme de sociabilisation (même si les rendez-vous “Zoom” ont des limites) d’avoir accès à la culture et au divertissement, nous ne pouvons faire l’impasse sur quelques zones inquiétantes qui se dessinent : le recours à la technologie de surveillance de masse comme outil de lutte contre la propagation de la Covid19. Avec comme victime, la liberté.

Les débats autour de l’application STOPCOVID ont mis en lumière les limites d’une telle pratique : non seulement “il n’y a pas de traçage anonyme” comme l’a rappelé dans un tweet le chercheur Antonio Casilli mais en plus il est raisonnable de s’interroger sur la réussite avérée du dispositif puisque les pays qui ont eu recours à cette pratique “re-confinent”. D’autre part, le cas récent d’un nouveau foyer épidémiologique parti d’une boîte gay à Séoul montre les effets délétères de ce type d’application : au regard des stigmatisations de la population homosexuelle en Corée du Sud, à date très peu de personnes s’étant trouvées en contact avec le porteur se manifestent ayant plus peur d’avouer leur homosexualité que d’avoir contracté le virus. Il y a en revanche un effet net lié à cette application, depuis le week-end dernier et l’annonce de ce nouveau foyer, une vague anti-LGBT secoue le pays.

Mais l’application n’est pas le seul outil choisi par ce qui se dessine comme une société post-covid et qui prend les airs de société de surveillance décomplexée de la population. Très vite d’autres solutions ont été mises en place : ainsi depuis le 18 mars, la Préfecture de police de Paris (il en est de même aussi à Nice et Marseille) se sert de drones, parfois munis de haut-parleurs pour inciter les populations à rentrer chez elles. Ces drones servent aussi à guider les équipes au sol afin qu’elles contrôlent, voire verbalisent, ceux qui sont susceptibles de contrevenir à la consigne générale de confinement. « Ces opérations, et c’est grave, se déroulent hors d’un véritable cadre légal ; ce déploiement de drones par la Préfecture de police n’a jamais été autorisé par un acte administratif exprès », s’inquiète Me Arié Alimi, membre du bureau national de la LDH dont les propos sont rapportés dans un article du Monde. « Il s’agit d’une pratique illégale qui n’a pas fait l’objet d’un débat et doit être suspendue », affirme-t-il. Mais, la Ligue des droits de l’homme (LDH) et La Quadrature du Net qui avaient déposé un référé-liberté devant le tribunal administratif de Paris, ont été déboutées.

Avec le “dé-confinement” de nouvelles options technologiques sont aussi au rendez-vous et toujours avec cette même ambition : surveiller la population. Ainsi la RATP “va tester des caméras « intelligentes » pour mesurer le taux de port du masque dans la station Châtelet”. Pratique déjà en cours à Cannes depuis le début de la semaine dernière. On pourrait croire que finalement, masqués, on déjoue les algorithmes de reconnaissance faciale et que cela est de moindre importance, mais un article de Wired montre que les sociétés développant des outils de reconnaissance faciale travaillent déjà pour s’adapter à cette nouvelle donne avec des résultats encore limités mais pour combien de temps ? Et comme l’imaginaire de surveillance est fécond, l’adoption d’autres types de caméras de surveillance est en cours : les caméras thermiques dont l’utilité est aléatoire vu le nombre de cas a-symptomatiques évalués (1/3 des cas)…

En un mot, la crise sanitaire actuelle accélère l’adoption des outils de surveillance de masse. Si l’on ne veut pas se résoudre à donner raison à Michal Kosinski — Computational Psychologist & Big Data Scientist à Stanford — qui pense qu’il est temps de faire le deuil de notre vie privée car nous sommes déjà dans la “post privacy era”, et si l’on sait qu’une fois des concessions faites sur nos libertés, il est très difficile de revenir à la “normale, il est primordial que l’usage de ces technologies soient l’objet de débats dans les chambres et non adoptés sans discussion et sans-même en informer les citoyens, sous couvert “d’état d’urgence”.

Si vous voulez en savoir plus les risques d’une application de traçage je vous recommande l’analyse fondée sur l’étude de scénarios concrets, à destination de non-spécialistes : https://risques-tracage.fr/

Je vous recommande aussi la lecture du livre de Shoshana Zuboff “The age of surveillance capitalism”. Pour la chercheuse et grâce aux plateformes, nous sommes entrés dans un nouvel stade du capitalisme, celui du capitalisme de surveillance. Cette nouvelle forme de capitalisme n’est pas sans conséquences sur la vie des démocraties et nos comportements individuels, parmi les évolutions qui lui sont liées, la société pourrait tendre à la suppression de toute notion de vie privée et d’intimité.