Elizabeth Le Hot, vous êtes adjointe au directeur général médias et industries culturelles au ministère de la Culture et de la Communication. Une direction qui propose et coordonne la mise en œuvre de mesures destinées à favoriser le développement des industries culturelles (livre, médias, musique enregistrée, audiovisuel). Aujourd’hui, après cette période d’arrêt total, alors que le numérique, on le sait, fragilise les modèles depuis des années, quel est l’état de santé de ce secteur ?
La filière des « industries culturelles » représente un secteur de premier plan de l’économie française : 640 000 emplois, 91 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2018, et des exportations dynamiques. Levier de rayonnement international et d’influence, les industries culturelles constituent un outil d’entrainement pour la stratégie internationale d’autres secteurs économiques. Les entreprises culturelles se répartissent en outre selon un maillage territorial relativement dense, et participent au dynamisme économique des territoires.
Aujourd’hui, la filière est toutefois durement affectée par la crise sanitaire. L’étude d’impact conduite par le Département des études de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère du Culture évalue la perte de chiffre d’affaires de l’ensemble des secteurs culturels à près de 25 milliards d’euros en 2020, alors même que la crise a démontré l’attachement des Français à la culture pendant la période de confinement. En dépit de l’accompagnement très fort de l’Etat, la culture et la création reste l’un des secteurs les plus affectés par la crise.
Son impact diffère par ailleurs largement d’un secteur à l’autre. Le spectacle vivant musical (- 74 %), le théâtre (- 69 %), la danse, le cirque et les arts de la rue (- 68 %), le patrimoine (- 65 %) et les musées (- 64 %) sont les secteurs les plus touchés en matière de perte relative de CA par rapport à 2019.
Le maintien de mesures sanitaires pour une période indéterminée limite notre capacité à prédire quel sera le rythme de reprise et l’impact durable sur le tissu économique. Les entreprises culturelles bénéficient des mesures transversales mises en place par le gouvernement et du plan de soutien massif du ministère, mais il est difficile de dire aujourd’hui comment se portent les entreprises culturelles.
Cet impact est très profond, car la crise accentue les ruptures majeures auxquels les secteurs culturels sont confrontés depuis plusieurs années avec la transition numérique, qui impacte les industries culturelles de façon transversale. Le digital modifie les usages du public, il bouleverse les modèles d’affaires et les modes de création, de production et de diffusion, il transforme la relation aux territoires et aux publics. Les nouveaux acteurs numériques ont personnalisé l’expérience du public et cherchent à lui faire vivre une expérience fluide et cohérente quel que soit le support ou l’écran. Ils captent la donnée pour améliorer encore la personnalisation de leurs services.
La crise a renforcé la concurrence avec ces plateformes étrangères à rayonnement mondial et mis en lumière la fragilité économique des entreprises françaises et leur difficulté à financer le risque et l’innovation.
Parmi les 5 grandes priorités du plan de relance il est fait mention de « la consolidation des filières culturelles stratégiques (presse, cinéma et audiovisuel, livre, audiovisuel public…) » pouvez-vous nous en dire plus sur la feuille de route de la DGMIC ?
Dans la suite des Etats généraux des industries culturelles et créatives, lancés par les ministres de la Culture, de l’économie et des finances et de l’Europe et des affaires étrangères en novembre 2019, nous poursuivons une stratégie visant à décloisonner les approches des différents secteurs culturels.
Il s’agit d’identifier les enjeux et défis communs à ces différents secteurs, de les faire dialoguer entre eux et de dégager des problématiques communes, par exemple en termes d’innovation, de formation ou d’exportation et de dégager des projets communs.
L’objectif est mobiliser dès janvier 2021 le programme des investissement d’avenir, qui est un programme d’investissement mis en place par l’État pour financer des investissements innovants et prometteurs sur le territoire, afin de permettre à la France d’augmenter son potentiel de croissance et d’emplois, pour accompagner des projets collectifs et transversaux aux différents secteurs des industries culturelles.
Depuis 2013, le ministère de la culture s’est doté d’un outil d’évaluation de la place des femmes dans le champ culturel et de mesure des inégalités qui y ont cours. Mais comme le souligne le ministère « malgré des avancées, il reste des progrès à faire, on notera notamment l’absence de consécration des femmes aux concours, prix et distinctions artistiques alors que certains pans de la vie culturelle semblent rester sourds à l’injonction d’égalité » Dans ce contexte, quel message souhaitez-vous adresser à ces 100 Femmes de culture ?
La place des femmes dans la culture est diverse et centrale, comme en témoigne la richesse des parcours des 1000 Femmes qui sont distinguées aujourd’hui et l’ensemble des secteurs qu’elles représentent.
Mais elles sont en réalité bien plus nombreuses ! C’est leur visibilité et leur reconnaissance qui sont défaillantes.
Pour les renforcer, il faut lutter contre le continuum, qui va des stéréotypes limitants jusqu’au harcèlement et aux violences sexuelles et sexistes, à l’œuvre dans tous les secteurs économiques. Entre autres conséquences, ce continuum « invisibilise » les femmes.
Les actions pour faire évoluer cette situation sont multiples. Parmi elles, les réseaux, qui s’appuient sur la solidarité et sur des actions concrètes, comme des groupes de travail ou du mentorat par exemple, sont de réels leviers de changement.