Qui ? Ségolène Vandevelde & Béline Pasquini

Mission ? Étudiantes en Archéologie – Fondatrices d’Archéo-Ethique

La Phrase : « Cette exposition a clairement permis une rencontre entre la parole (celle portée par les témoignages) et l’écoute (celle des archéologues qui ont vu cette exposition) »

Ségolène Vandevelde et Béline Pasquini, vous êtes doctorantes en Archéologie environnementale à Paris I (ArScAn – UMR 7041) et fondatrices de l’association Archéo-Éthique, vous avez co-organisé avec le projet Paye Ta Truelle l’exposition Archéo-Sexisme inaugurée le 8 mars 2019 à la Maison Archéologie et Ethnologie sur le campus de l’Université Paris Nanterre. Pouvez-vous nous présenter ce projet ?

Laura Mary, archéologue restauratrice de matériel archéologique, a fondé Paye Ta Truelle en janvier 2017 ; une initiative qui a pour but de collecter des témoignages pour dénoncer le sexisme en archéologie. Le sujet du sexisme en archéologie nous semblait important à traiter car, nous, en tant qu’étudiantes, avons souvent entendu des anecdotes au retour de fouilles. Ce sujet est suffisamment répandu, les cas suffisamment nombreux, pour que nous puissions dire à chaque retour de chantier que « le sexisme en archéologie est tristement banal ».

Pensez-vous que ce soit le cadre des fouilles qui libère la parole et les agissements sexistes ?

L’organisation même du chantier est particulière : nous passons plusieurs semaines ensemble, en vase clos. Sur certains chantiers l’ambiance est clairement graveleuse, teintée d’un esprit « colo ». Il faut bien garder à l’esprit que les chantiers sont souvent des étapes obligatoires de la formation des étudiants et étudiantes en archéologie. Si ils et elles ne font pas de fouilles tous les étés, ils et elles ne valident pas leurs années. Donc si jamais les choses se passent mal, même si les gestes ou les propos sexistes sont difficiles à vivre, ils et elles ne peuvent pas partir.

Les chantiers de fouilles sont donc des espaces assez particuliers de temporalité et d’usages. Tant par les postures (les fouilles se font à genoux), que par les tenues (débardeurs et shorts sont des tenues répandues) aussi les remarques et gestes sexistes sont nombreux et banalisés. Or les différents témoignages faisant clairement la dénonciation de harcèlement et agressions sexuelles montrent que les responsables ne voient pas le traumatisme qu’ils ont provoqué ni que ce type de comportement est un acte pénalement réprimé.

D’ailleurs, il ne s’agit pas de s’arrêter à des remarques ou gestes, il faut aussi aborder la question de la répartition genrée du travail : aux filles les tâches « délicates » et travail de « précision », aux garçons les travaux plus « physiques » : pioche ou dessouchage, du coup les formations mêmes sont partielles. Les archéologues sont donc des demi-archéologues.

D’autre part, ces comportements recouvrent aussi d’autres typologies de comportement. En faisant appel à des témoignages, nous avons aussi eu des paroles de femmes victimes de racisme, de transphobie, d’homophobie, de grossophobie et de validisme.

Donc le chantier est un cadre particulier. C’est pour ça que nous avons eu beaucoup de témoignages de faits se passant lors des fouilles. Il y a aussi des choses qui se passent en université ou en laboratoire mais il y a une dynamique particulière sur les chantiers, car la fouille engage le corps et parce que nous vivons en autarcie dans un « hors temps » et géographiquement isolés.

Diriez-vous donc que l’université est sexiste ?

En université comme ailleurs, dénoncer est difficile. C’est d’autant plus difficile quand la personne en cause est en position de pouvoir (que ce soit un directeur des fouilles ou un ponte universitaire). Dénoncer, c’est prendre le risque de se voir confisquer une partie du travail, un accès à des objets ou des résultats.

Ce n’est pas propre à l’archéologie, puisqu’on peut noter, dans le fonctionnement général des universités, que les tâches administratives et pédagogiques sont dévolues aux femmes. Par ailleurs, alors que les femmes sont plus nombreuses à être diplômées et obtiennent en moyenne de meilleurs résultats que les hommes, elles sont moins nombreuses à continuer ensuite dans la recherche. Si elles poursuivent malgré tout dans cette voie, il a été noté qu’elles publient presque deux fois moins d’articles où elles sont première autrice que leurs homologues masculins. Leurs articles reçoivent également moins de citations si elles sont autrice seule, première autrice ou dernière autrice. Comme le démontre l’initiative « All male panels », elles sont aussi moins invitées aux colloques internationaux.

Comment est pensée l’organisation de l’exposition Archéo-Sexisme ?

En tant que co-présidentes de l’association Archéo-Éthique, nous avions contacté Paye Ta Truelle en septembre 2017 car nous préparions un colloque sur l’éthique en archéologie dans lequel nous souhaitions  parler du sexisme, déjà avec cette idée de traiter le sujet sous la forme d’une exposition de témoignages illustrés. Finalement, pour diverses raisons – tant d’organisation que notre souhait de ne pas traiter le sujet à la légère – cela n’a pas pu se faire. Laura Mary a tout de suite été partante pour l’organisation de cette exposition qui a donc été inaugurée le 8 mars 2019 à la Maison de l’Archéologie et de l’Ethnologie sur le campus de l’Université Paris Nanterre.

Laura Mary avait déjà récolté un certain nombre de témoignages via le projet Paye Ta Truelle mais nous avons lancé un nouvel appel explicitement pour l’exposition.

Dans un deuxième temps, nous avons fait appel à des artistes – à qui nous avons laissé toutes latitudes – pour illustrer ces témoignages. En parallèle nous avons cherché des financements auprès de plusieurs partenaires – car les laboratoires en sciences humaines sont particulièrement peu dotés et ne peuvent donc pas aider, seuls, les différentes initiatives – aussi bien pour la production que pour la rémunération des illustrateurs et illustratrices. Cela nous a demandé beaucoup d’énergie mais nous avons trouvé des mécènes parmi les institutions publiques (notre laboratoire ArScAn, le CNRS, la MAE, l’Université Paris 1, …)

L’exposition est organisée par panneaux (23) en fonction des témoignages que nous avons reçus et que nous avons regroupés par grands thèmes : sur l’organisation genrée du travail, sur l’intersection des discriminations, sur le harcèlement sexuel et sur les agressions sexuelles (pour lesquels nous avons tenu à rappeler les termes de la loi française), sur le sexisme internalisé. Un des panneaux s’intitule « Le sexisme en archéologie, ça n’existe pas ». C’est une phrase qui nous a été dite par plusieurs archéologues, hommes et femmes, mais il faut bien comprendre qu’une expérience personnelle ne suffit pas à rendre compte d’un problème systémique.

Les chiffres, ça ne se discute pas mais en revanche les témoignages amènent à l’empathie et la discussion. Le ressenti des victimes est important. Parce que cela nous implique tous et toutes mais aussi parce que cela a fait resurgir chez certaines des situations qu’elles ont connues, qu’elles n’avaient pas identifiées comme sexistes.

Quelles ont été les réactions des archéologues femmes et hommes ?

Pas mal d’hommes ont découvert les problèmes grâce à l’exposition. Il faut savoir que l’Université se drape dans ses diplômes et ses savoirs et qu’elle croit que cela l’immunise contre ce genre de comportement. Comme si avoir des titres et être sexiste (ou avoir des comportements discriminatoires) étaient antinomiques. « Cela ne peut pas nous arriver dans notre milieu ». Certains responsables de fouilles se sont trouvés confrontés à une réalité dont ils n’avaient pas conscience, d’autres étaient déjà conscients du problème mais ils en ont réalisé l’ampleur. Ils étaient sidérés, « Une exposition sur la connerie. » pour reprendre les termes de l’un d’entre eux.

Les femmes, quant à elles, ont été soulagées que l’on parle enfin de ce problème et certaines ont été amusées des réactions de leurs collègues masculins qui n’imaginaient pas ça. Le sexisme, ce n’est pas un épiphénomène; c’est vécu au quotidien.

Cette exposition a clairement permis une rencontre entre la parole (celle portée par les témoignages) et l’écoute (celle des archéologues qui ont vu cette exposition). On a vu pendant toute la durée de l’exposition, des groupes s’arrêter, échanger, s’emparer du sujet.

Quelle suite pour votre exposition ?

L’exposition est amenée à tourner dans plusieurs institutions. Nous allons la montrer dans différents lieux : en juin à l’INRAP – un peu avant les Journées de l’Archéologie ; à l’université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne (dans les locaux de l’Institut d’Art et d’Archéologie, rue Michelet) pour la rentrée de l’Ecole Doctorale en automne. Nous allons certainement organiser aussi quelque chose avec le siège du CNRS et avec des laboratoires qui lui sont affiliés.

Nous avons aussi reçu des demandes de la part de certaines institutions (musées) en France et à l’étranger (Québec et USA). À Michelet, le pôle archéologie de Paris I et Paris IV, les étudiants et étudiantes pourront la voir pendant environ un mois. Nous espérons qu’après avoir lu les témoignages, ils et elles pourront réagir plus vite lorsqu’une situation de sexisme se présente et se sentir concernés. Pour les hommes, qu’ils se rendent notamment compte que ce qu’ils croient « drôle » ne l’est pas forcément. Pour les femmes, qu’elles dépassent l’étape de la sidération et qu’elles puissent prendre conscience de ce qui se passe et réagir. Il est également crucial que les professeurs et les responsables des opérations se sentent concernés, qu’ils soient attentifs à ce qui se passe. Un des responsables nous a demandé le catalogue pour le faire circuler dans sa fouille, pour dénoncer le problème et faire passer un message.

Nous allons publier un compte rendu sur l’exposition et, à terme, les panneaux seront accessibles en ligne en libre accès dès que l’exposition physique sera terminée. Nous souhaitons aussi exporter le concept de l’exposition à d’autres sciences, car le format est percutant. Notre propos n’est pas de dire l’archéologie est sexiste mais « il y a du sexisme dans la société et l’archéologie n’y échappe pas ».

Il faut savoir que tout cela s’inscrit dans un projet plus global. Le but de l’association Archéo-Ethique est que tous les acteurs et actrices se sentent concernés par les questions d’éthique en archéologie en général et pas seulement celles et ceux qui travaillent avec des autochtones ou sur des restes humains. La première étape était le colloque Archéo-Ethique en mai 2018, cette exposition constituait la deuxième étape, la troisième étape est la publication des actes du colloque, et d’autres projets sont en construction…

Le contact : archeo.ethique@univ-paris1.fr