Les musées se repensent pour accompagner au mieux les visiteurs toujours plus désireux d’avoir des visites augmentées. Agnès Abastado responsable du multimédia et du contenu pour le musée du 11 Conti – Monnaie de Paris nous dévoile la stratégie mise en place par le musée.

Agnès Abastado vous êtes responsable du multimédia et du contenu numérique pour La Monnaie de Paris. Pouvez-vous nous présenter ce musée ? 

Le musée du 11 Conti – Monnaie de Paris est un musée unique : Musée de France, c’est aussi un musée marié à une usine, dans une institution labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant. En effet, au-delà des collections patrimoniales exceptionnelles de l’institution qui y sont dévoilées, le musée met en valeur ses patrimoines immatériels : les savoir faire et métiers d’art de la Monnaie de Paris, une des plus veille entreprise du monde, qui abrite une usine encore en activité sur son site historique au cœur de Paris. Ainsi, au fil du parcours du musée, le visiteur découvre des vues aménagées sur certains ateliers. Ces vues permettent de montrer, pendant les horaires de fonctionnement des ateliers, le travail des artisans et ouvriers qui façonnent le métal pour en faire des objets de collection et des productions d’exception de la Monnaie de Paris.

Art, sciences et techniques, histoire des peuples, du goût et de l’économie, archéologie et sociologie, le Musée du 11 Conti est un parcours permanent multi-sensoriel qui rassemble ces disciplines pour exprimer toute la richesse et la diversité des collections, de la matière brute aux machines et savoir-faire qui permettent sa transformation, et mettre en valeur les femmes, les hommes et les métiers qui garantissent la qualité de la production.

Le musée a réouvert en 2017 (après 6 ans et 75 millions d’euros de travaux auto-financés dont 1,1 millions consacrés aux outils de médiation). Son parcours muséal a été entièrement repensé avec de nouveaux services. Pouvez-vous nous présenter l’esprit qui a présidé à cette nouvelle offre ?

Le musée du 11 Conti – Monnaie de Paris a été conçu dans une démarche de design universel, ou qualité d’usage pour tous, qui vise à concevoir des équipements accessibles au plus grand nombre d’utilisateurs. Ainsi, l’expérience du visiteur a été au cœur de la conception du parcours et a été pensée jusqu’aux petits détails (prêt de matériel en billetterie, prises casques, braille…). 

L’approche qui a présidé ce parcours était de mettre en valeur les patrimoines de la Monnaie de Paris au travers de contenus riches, scientifiques, exactes, et également expérientiels : permettre de découvrir les contenus, les objets et les métiers par différents sens (le touché, l’ouïe, l’odorat, la vue évidemment).  Plusieurs niveaux de lecture, plusieurs langues et plusieurs supports ont ainsi été développés autour des thématiques du musée, de la matière à l’objet fini, de sa transformation à sa sublimation. Objets à toucher, témoignages, expériences olfactives et sonores, manipulations diverses… ponctuent le parcours du visiteur, et diversifient les canaux d’apprentissage, favorisant des expériences conviviales et la variété des postures de visite.

Quelles sont les principales innovations technologiques de ce parcours ? Comment avez-vous pensé les outils numériques de médiation ? 

Les outils numériques de médiation sont au service d’une expérience créative et diversifiée dans le parcours du visiteur du musée du 11 Conti. Ils participent à l’expérience globale, multi-sensorielle, apportant une solution technique a des enjeux de contenu, de transmission du savoir et d’expérience par les sens et la manipulation.

Si le musée présente quelques dispositifs très novateurs, l’innovation technologique en tant que telle n’était pas un enjeu. Lors de la définition des dispositifs, c’est le contenu et l’expérience du visiteur qui ont piloté la conception et les choix technologiques. Ainsi, parfois, la technologie a su disparaitre au profit d’expériences « multimédia » non technologiques, comme des objets à toucher. Et quand bien même la technologie est là, elle sait se faire discrète : un dispositif phare du parcours est le Numiscope (la contraction de Numisma – en latin, pièce de monnaie – et Scopein– en grec, observer). Grâce à un système de réalité augmentée avec reconnaissance de marqueurs, le visiteur manipule des « disques pièces » et voit cette pièce projetée en très grand. Il apprend à en lire des détails (poinçon de garantie, millésime, légende, etc.). Un très beau travail où la technologie sait s’effacer au profit d’une expérience « magique » pour le visiteur…

Un autre aspect de la conception des outils numériques a été le pilotage / la maintenance et l’évolutivité du musée.  En effet, le musée s’inscrit dans une démarche évolutive de design thinking, permettant notamment l’enrichissement continu de l’offre de contenu et fonctionnalité, et ce en grande partie grâce au dispositifs numériques conçus pour cela. Depuis son ouverture en sept. 2017, de nombreuses évolutions et optimisations, mais également nouveaux contenus ont pu être déployés dans le musée pour suivre l’actualité programmatique des collections et des expositions.

Pour vous, comment le numérique transforme les musées ? Quels sont les nouveaux enjeux auxquels vous devez répondre ?

Le musée, à l’instar de toutes les institutions, est profondément modifié par le numérique. Que ce soit dans ces métiers (la gestion des collections, la sauvegarde du patrimoine, etc.) ou dans ces missions. La présentation des collections et la transmission des savoirs sont en effet aujourd’hui challenger par les nouvelles technologies. Les nouveaux moyens de communication, de médiation et contenus numériques ouvrent des perspectives réjouissantes de développer ces missions autrement. Ils viennent compléter des dispositifs existants. L’un des enjeux est de rester connecter avec ces moyens existants : les technologies numériques apportent des outils, et ces outils sont à mettre au service des missions et moyens existants. Ils ne sont pas une mission en soit. En effet, l’audioguide ne remplace par la visite guidée, l’écran ne remplacement pas le cartel, la réalité virtuelle ne remplace pas la visite réelle : si nos publics et visiteurs l’ont très bien compris, navigant d’un outil à l’autre selon leur désir et la complémentarité de ceux-ci, les musées doivent également en avoir conscience lors de la conception de ces outils. Par ailleurs, le musée est un formidable lieu d’expérimentation : les technologies les plus innovantes sont souvent testées dans des lieux culturelles, bénéficiant de publics « tests » et de contenus riches. L’enjeu sur ce point, est de savoir évaluer ces projets, qu’ils soient réussis ou moins réussis, accepter aussi l’échec, et permettre un retour d’expérience intéressant et constructif.