Qui êtes-vous ?
Je m’appelle Lucile Bruhat, et je suis en 4ème année de thèse en Géophysique à Stanford en Californie. Je développe des modèles mécaniques pour contraindre l’alea sismique dans la région de Seattle au Nord-Ouest des Etats-Unis.
Comment vous est venue votre vocation ?
Petite, je voulais être vulcanologue. Je pouvais passer des heures à regarder des vidéos d’éruptions, en particulier celles du Piton de la Fournaise. Au collège et au lycée, la géologie m’intéressait toujours autant mais j’étais meilleure en maths et en physique. De plus, la biologie n’était pas du tout mon point fort, ni ma tasse de thé. Donc lorsqu’il a fallu choisir une orientation post-bac, j’ai fait le choix de partir en prépa maths-physique, avec l’idée en tête de revenir vers les sciences de la Terre après. C’est ce qui s’est passé lorsque j’ai rejoint le département de Géosciences de l’ENS Paris, après mes deux années de classes prépa.
Au début, je ne me voyais pas faire une thèse et encore moins envisager une carrière dans la recherche. Au cours de mon M1, j’ai eu la chance d’aller faire un stage de recherche à Los Angeles dans un laboratoire de tectonique/sismologie. Le fait de vivre dans une région où le risque sismique est une réalité était passionnant et motivait vraiment mon travail de recherche. Mais cela me paraissait encore trop beau pour être vrai. J’avais toujours l’impression que cela faisait partie des expériences étudiantes, souvent éloignées de la vraie vie professionnelle.
J’ai pris ensuite une année de césure pour faire un stage dans une entreprise pétrolière. Le travail et mes collaborateurs y étaient vraiment sympas. Et puis, en Mars 2011, le Japon fut touché par un séisme de magnitude 9, suivi par un tsunami qui causa l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima. Ce fut comme un déclic. Je me suis rendue compte que ce qui me motivait vraiment c’était ma passion pour les séismes, que je pouvais faire le même travail que je faisais à ce moment là mais appliqué à l’alea sismique. J’ai alors aussi compris que le seul moyen d’assouvir ma curiosité, c’était de faire une thèse.
Etre une femme et chercheuse en géophysique, c’est difficile ? Est-ce un milieu sexiste ?
Ce n’est pas un milieu sexiste mais comme la plupart des milieux de recherche, cela reste un milieu qui n’a pas été conçu pour les femmes. Même si on a beaucoup plus de liberté pour gérer notre temps, sans horaires fixes, on finit souvent par travailler tard le soir ou le weekend pour compenser. A cause de cela, beaucoup de femmes évitent d’avoir des enfants pendant leur thèse. C’est souvent soit mal vu, soit considéré comme se tirer une balle dans le pied. Cela n’empêche pas mes collègues masculins d’avoir une vie de famille sans aucun souci.
Cependant, les géosciences ont cet avantage d’avoir naturellement plus de femmes dans leurs rangs. Environ 40% des doctorants en géosciences aux Etats-Unis sont des femmes. Grâce à cela, les réseaux féminins sont très solides au sein de la communauté scientifique. Les mentalités évoluent aussi. Au début de ma thèse, parler du harcèlement sexuel restait tabou mais depuis environ 2 ans, après la publication d’une étude sur le harcèlement pendant le travail de terrain et la succession des affaires dans les universités américaines, les langues se délient.
Vous êtes à Stanford. Pour les jeunes filles qui aimeraient faire comme vous, quels sont vos conseils ?
Postulez ! Les seules véritables barrières sont celles que vous vous mettez. La société d’aujourd’hui est très exigeante avec les femmes : on se doit de réussir partout, aussi bien professionnellement que dans sa vie personnelle. Je pense qu’à cause de cela les femmes ont tendance à prendre moins de risques et à se reposer sur leurs acquis de peur d’avoir tout à recommencer. Cependant ce sont ces choix risqués qui font la différence sur le long terme.
Et surtout, suivez vos instincts. Si vous savez au fond de vous que votre passion est dans les sciences, n’écoutez pas les mauvaises langues et foncez ! Et même si à ce moment-là vous doutez encore de vous, faites-le juste pour ne pas avoir de regrets. C’est ce que j’ai fait lorsque j’ai postulé en thèse. Deux des professeurs qui m’intéressaient étaient à Stanford mais, vu le prestige de l’université, j’étais pratiquement sûre que mon dossier allait être rejeté. J’ai tenté ma chance et ça a marché !