Interview de Delphine Manceau – Directrice Générale de NEOMA Business School – pour les Femmes de l’ESR

 

Vous avez de nombreux mandats dans l’Enseignement Supérieur et la Recherche – DG de NEOMA Business School, Chair de l’European Advisory Council (EAC) de l’AACSBPrésidente de la banque d’épreuves ECRICOME, Vice-Présidente de la banque d’épreuves SESAME, membre du Conseil académique de l’Institut Français de la Mode (IFM) et du Conseil stratégique de l’ESC Troyes – un secteur qui connaît des mutations structurelles aussi bien que fonctionnelles : regroupements, alliances, développement international,…. L’école que vous dirigez est d’ailleurs née de la fusion, il y a maintenant 5 ans, des écoles Rouen Business School et Reims Management School : quelles sont pour vous les priorités stratégiques pour une école telle que Neoma BS ?

Effectivement, le secteur de l’enseignement supérieur est en pleine transformation, non seulement en raison de la mondialisation qui conduit à comparer des universités de pays et de continents différents, de la révolution numérique qui change radicalement les manières d’apprendre et le rapport à la connaissance des nouvelles générations, mais aussi de l’évolution des entreprises qui cherchent des compétences différentes et voient apparaître de nouveaux métiers. Ces transformations sont passionnantes ! Il faut être créatif pour imaginer de nouvelles méthodes d’apprentissage tout en continuant à exceller dans nos programmes.

Une école comme NEOMA, qui fait partie du top 10 des business schools françaises, doit anticiper ces mutations et se transformer de l’intérieur. Nous travaillons sur plusieurs axes : la visibilité internationale de l’Ecole, sa transformation digitale et architecturale, pour avoir des campus et des lieux d’études en cohérence avec les nouvelles manières d’apprendre et de travailler, la richesse de l’expérience étudiant…

Ensuite, il faut mobiliser le collectif : toute la communauté – étudiants, professeurs, collaborateurs, diplômés –, tous doivent être engagés ensemble dans cette transformation. C’est la raison pour laquelle nous avons développé « ImagiNEOMA », un projet inclusif fondé sur des méthodes de créativité collective et des hackathons, pour imaginer ensemble ce que sera demain NEOMA.

Vous êtes enseignante-chercheuse dans le domaine du marketing et de l’innovation, et vous avez fondé l’Institut pour l’Innovation et la Compétitivité. Dans le rapport « Pour une nouvelle vision de l’innovation » que vous avez écrit avec Pascal Morand, vous soulignez que l’éducation a un rôle clé à jouer pour faire évoluer les mentalités et encourager la créativité et la prise de risque. Comment cela se traduit-il concrètement dans l’offre pédagogique que vous déployez ? 

La capacité à innover dépend fortement des environnements qui doivent favoriser la créativité collective, permettre de prendre des risques, encourager à transformer les idées en projets et en nouveaux produits. La créativité s’apprend. Et c’est notre rôle, en tant qu’établissement d’enseignement supérieur, de former des jeunes agiles et créatifs au fait des méthodes d’innovation les plus en pointe, et capables de s’appuyer sur leurs camarades, leurs professeurs, les entreprises pour développer leurs projets.

Concrètement, nos programmes sont reconnus pour leur forte orientation vers l’entrepreneuriat et le journal Le Parisien a même classé Neoma n°1 français sur le sujet ! Nous avons 3 incubateurs et 2 accélérateurs de start-ups. Notre parcours Entrepreneuriat Associatif permet aux étudiants de développer un projet associatif de manière très entrepreneuriale, d’apprendre en faisant et en montant des projets. Nous développons également des liens étroits avec des écoles d’ingénieurs car, pour innover, il faut avoir des approches hybrides fondées sur des combinatoires de savoirs, de compétences et de personnalités.

Et puis nous innovons nous-mêmes, en montrant aux étudiants ce qu’est au quotidien l’approche « Test and Learn ». Nous stimulons leur envie de tester de nouvelles approches et de travailler en groupe. C’est ainsi que nous avons développé des méthodes de pédagogie digitale expérientielle en Réalité Virtuelle Immersive (RVI), d’abord testées dans une classe de 30 élèves avant de les déployer auprès de 2 000 étudiants.

Vous êtes l’une des rares femmes à la tête d’un établissement d’Enseignement Supérieur en France – et même si les écoles de commerce ne connaissent pas les difficultés de la parité dans leurs effectifs, les femmes ne sont pas aussi nombreuses que les hommes dans les postes à responsabilité ou dans les conseils d’administration, comment préparez-vous vos étudiants (filles et garçons) à relever le défi de l’égalité ? 

L’égalité hommes-femmes est un sujet qui me tient beaucoup à cœur. Certes, les écoles de management sont à parité dans leurs élèves – et je m’en félicite – mais les choix de carrière sont encore très « genrés » : on trouve davantage de filles dans les spécialisations en marketing et davantage de garçons en finance. Et en matière d’entrepreneuriat, la grande majorité des entrepreneurs sont des hommes. Au niveau mondial, seulement 3% des fonds de capital-risque sont investis dans des start-ups dirigées par des femmes !

Chez NEOMA, nous avons une politique très active sur le sujet, en sensibilisant nos étudiants et étudiantes sur ces questions, avec des cours dédiés aux stéréotypes inconscients portés par les métiers ou même par les managers. Plusieurs de nos Professeurs conduisent des recherches sur ces sujets. L’école a un pôle Egalité Hommes-Femmes qui sensibilise les étudiants au respect de l’autre sexe et à la lutte contre le harcèlement sexuel au sein du milieu étudiant. Enfin, l’association étudiante « He for She » est très active sur nos campus en créant des campagnes de communication, organisant des tables rondes et accompagnant les victimes ou témoins de violences sexistes ou de cyber harcèlement.

Nous menons aussi des actions dans le cadre de notre propre politique RH. Nous avons mené une étude sur l’égalité des salaires hommes-femmes dans l’école, étude menée par un cabinet indépendant, qui montre qu’il n’y a pas à Neoma d’inégalité salariale entre les hommes et les femmes : ce n’est pas si fréquent dans les organisations et nous sommes très satisfaits de ce résultat !

Le marketing véhicule de nombreux stéréotypes et particulièrement sur les sexes. En tant qu’experte dans ce domaine, constatez-vous une prise de conscience et des changements ? Le marketing des nouveaux produits, par exemple, est-il plus « éthique » ?

Le marketing est le reflet de la société, il véhicule le conscient et l’inconscient collectif. Ne tirons pas sur le messager : si les stéréotypes apparaissent dans la publicité, c’est souvent parce qu’ils existent dans les esprits. Pour autant, le marketing peut être un excellent canal pour faire évoluer les mentalités et il se doit d’assumer ce rôle. Quand une marque comme Dove met en scène dans ses publicités des « vraies femmes », rondes ou âgées, en montrant qu’elles sont belles et bien dans leur corps ; la marque fait beaucoup pour montrer que les mannequins excessivement minces ne sont pas un modèle et que la beauté est diverse. Quand Mr Bricolage repense certains espaces de vente pour les femmes, cette entreprise fait évoluer les mentalités et les pratiques sociales.

Là encore, je crois beaucoup à l’éducation pour sensibiliser nos étudiants, qui sont pour certains de futurs directeurs marketing, et leur faire prendre conscience de la responsabilité sociétale qui sera la leur dans le monde de demain. C’est d’ailleurs pourquoi nous créons cette année un cycle de conférences sur « humanités et management » dédié à la responsabilité sociale de l’entreprise et au rôle qu’ont les dirigeants dans les évolutions de la société.