Frédérique Vincent, vous êtes directrice de l’Enseignement et de l’International à l’Institut Mines-Télécom. Quel est votre parcours ?

J’ai commencé ma carrière dans la recherche, aux Mines ParisTech – alors Ecole des Mines de Paris – où j’ai rédigé une thèse en Hydrologie – Hydrogéologie quantitative. Si l’environnement était un secteur qui m’avait toujours intéressée, c’est par hasard que le domaine s’est décidé : l’application des modèles de comportement hydrauliques, biologiques, biodynamique à un matériau un peu particulier, le déchet. Il faut se rappeler qu’en 1987, date de ma thèse, le sujet était assez avant-gardiste et masculin. Certains y auraient vu un frein, moi j’ai saisi une chance.

Deuxième étape de ma carrière : 1992. Alors que Ségolène Royal faisait passer une loi visant à supprimer les décharges en France (et confisquant par là-même mon terrain de recherche), le Sommet de Rio faisait émerger une question qui allait être au centre de ma nouvelle carrière : le Développement Durable.  L’Ecole des Mines, l’école des Ponts et à l’Ecole du Génie Rural des eaux et forêts y ont en effet vu une opportunité pour créer une nouvelle offre de formation transversale, de haut niveau et spécifique dans le domaine de l’environnement. La construction de celle-ci m’a été confiée, je suis donc sortie de la recherche pure pour m’orienter vers la formation.

L’Institut supérieur en ingénierie et gestion de l’environnement (ISIGE) des Mines ParisTech était donc né. L’approche était alors innovante à plus d’un titre.  D’une part, alors que nous étions une école d’ingénieurs, nous avons accepté des profils variés ; cette transdisciplinarité à une époque où la formation ne jurait que par l’ultra spécialisation était un pari risqué.

D’autre part, nous avons développé une pédagogie sur-mesure. Dans l’approche même d’abord – nous avons pensé cette formation en co-construction avec les milieux industriels -,  dans les modalités d’enseignement ensuite. En effet, pour enseigner à des profils aussi différents, il est obligatoire de renouveler les outils pédagogiques, d’essayer toujours de nouvelles formules. Ainsi nous avons mis en place des projets précurseurs à l’époque : formation à distance, université numérique (USED), MOOC (alors que ça ne s’appelait pas encore comme ça), approche par projets, …

Aujourd’hui vous êtes  directrice de l’enseignement et de l’international à l’IMT, quelle était votre feuille de route en arrivant ?

J’ai eu une grande chance en arrivant en 2016 : l’IMT était alors en pleine réflexion stratégique, ce qui m’a permis de construire ma feuille de route avec les équipes dirigeantes.

Nous avons choisi de privilégier deux axes : développer l’innovation pédagogique et redonner une vraie place à l’enseignant chercheur. Deux axes qui se répondent car, si nous voulons que les méthodes pédagogiques avancent, il faut accorder la même reconnaissance à ceux qui ne font pas de la recherche pure et se consacrent aussi à la pédagogie. Quand j’évoque la pédagogie, cela ne s’arrête pas aux outils : nous cherchons aussi à mieux comprendre les mécanismes d’apprentissage.

Il y a une ligne qui fixe le cap : l’IMT étant constitué de 8 écoles, toutes les solutions et réflexions que nous développons doivent l’être dans un effet de mutualisation.

Quels sont les effets du numérique sur la pédagogie ?

Le numérique est un formidable outil qui force à se remettre en question, et ce à plusieurs niveaux.

Tout d’abord, notre public : les jeunes qui arrivent ne sont plus les mêmes. Agiles, nomades, ayant un accès à l’information en direct, il faut donc adapter la formation et les choix pédagogiques doivent être encore plus poussés. Et surtout plus qu’avant, il faut leur apprendre à apprendre. Dans un univers en constante mutation, où les métiers de demain n’existent pas encore, où certaines connaissances pourraient devenir obsolètes, il est primordial de leur enseigner l’adaptation. Le plus important pour moi reste de généraliser une approche par compétences : l’étudiant doit sortir avec les cartes en main pour son avenir professionnel quel que soit le métier auquel il se destine.  Ainsi l’enseignement ne peut s’attacher uniquement à des connaissances mais bien à des compétences  : savoir résoudre des problèmes, savoir travailler en groupe (alors que les ingénieurs ont souvent tendance à chercher à tout résoudre seul), comprendre que la solution n’est pas toujours technologique…

D’autre part, il y a révolution éducative dans l’approche même : remettre l’étudiant au centre de la pédagogie. Ce qui signifie abandonner l’uniformisation qui est la pratique en cours pour une offre sur-mesure qui s’attache à chaque individu ; pour aider chacun à réaliser son rêve et trouver ce pourquoi il est fait vraiment. Ce qui implique beaucoup plus d’accompagnement, de tutorat pour qu’ils apprennent à se connaître. Il faut aussi savoir que cette approche remet en cause l’évaluation, donc c’est tout le système qui est réinterrogé, on sort du système compétitif…

L’international fait aussi partie de votre périmètre…

Oui, c’est effectivement l’autre partie de ma mission. Il s’agit tout d’abord de profiter de « l’effet groupe » pour obtenir des accords avec des universités de même rang que nous. Cette approche nous permet de développer des doubles diplômes avec des universités partenaires dans différents pays, sur différents continents pour répondre aux besoins des mobilités entrantes et sortantes.

Le second axe en cours vise l’Afrique. C’est une stratégie qui n’a pas encore était formalisée et annoncée donc je ne peux trop développer mais, pour vous donner un indice, nous nous inscrivons dans le cadre du projet présidentiel du campus Franco-Sénégalais. C’est une véritable chance pour nous parce que c’est un terrain neuf pour les pédagogies innovantes.

Vous avez totalement délaissé l’écologie ?

Je l’ai toujours en tête ! En fait, la transition numérique est importante mais je crois que la transition écologique l’est tout autant et même que ces deux mouvements sont superposables. Ainsi, dans le cadre du Disrupt campus – dispositif de soutien aux formations à l’innovation numérique et à l’entrepreneuriat dont l’objectif est de faire travailler les étudiants en mode projet sur des problématiques d’innovations réelles, rencontrées par les entreprises – nous lançons des projets spécifiquement autour des objectifs du Développement Durable.

Comment se passe le recrutement des filles au sein de l’IMT ?

Il est assez dichotomique : les écoles qui abordent des sujets de l’ordre de l’environnement, de la chimie, de la pharmacie, du génie des procédés ont un taux de féminisation très important.Dans le domaine de l’environnement, par exemple, nous avons du mal à recruter des garçons. En revanche, comme partout, nos écoles d’ingénieurs numériques ont un défaut de féminisation. Or cette féminisation est un enjeu majeur si nous ne voulons pas que le monde qui se dessine soit créé uniquement par des hommes.

Pour y remédier, je pense que nous devons passer par les applicatifs, « le numérique au service de… » la santé, l’écologie, le handicap, … Il faut inverser la proposition et remettre le numérique pour ce qui est : un moyen et non une fin. Il me semble qu’ainsi nous pourrons inciter les filles à se tourner vers des métiers qu’aujourd’hui elles n’envisagent même pas.