Emmanuelle Luciani et Charlotte Cosson vous formez un duo de commissaires d’exposition, historiennes de l’art et critiques d’art françaises, spécialisées dans l’art contemporain, quelle est votre formation ?
Nous avons toutes les deux étudié l’Histoire de l’Art : à Paris IV et The Graduate Center of CUNY pour Charlotte, à l’Université d’Aix-en-Provence et à Roma III pour moi. J’ai aussi un master en droit et suis diplômée des Beaux-Arts.
Si les métiers d’historienne de l’art et de critique sont familiers, pouvez-vous nous parler du métier de commissaire d’exposition ?
Jusqu’au milieu du siècle dernier, être commissaire d’exposition était la suite logique du métier d’Historien de l’Art : on partait des œuvres pour former une théorie, puis on exposait ensuite cette dernière à travers les formes qui l’avaient fait naître. C’est dans cette lignée que nous envisageons notre pratique. Nous adjoignons également à cela le fait de toujours faire produire de nouvelles œuvres à des artistes que nous invitons dans nos ateliers à Marseille : southway studio. Pensée et pratique, pour nous c’est comme corps et esprit, ça devrait toujours être lié.
Tout votre travail s’articule autour d’une théorie que vous désignez par Oracular/Vernacular, quelle est-elle ?
Si on devait réduire la modernité à une phrase, ce serait sans doute « regarder vers un futur meilleur en faisant table rase du passé ». La modernité a ensuite laissé place, passés les chocs pétroliers de 1973, à un autre rapport au temps qu’on a appelé la postmodernité. La période postmoderne est un moment où on n’imagine aucun futur meilleur (les catastrophes du XXe siècle ont laissé un goût amer), mais où l’Histoire est mise en doute car on comprend qu’elle n’a été écrite que par des hommes, occidentaux et vainqueurs. C’est un moment de présent permanent très favorable à la consommation. Nous nous sommes rendues assez vite compte, en développant une lecture des œuvres comme cristallisations formelles des changements sociétaux, que certaines ne tombaient pas dans ce cadre : elles puisaient dans le passé afin de pouvoir à nouveau se projeter vers l’avenir.
Le terme oracular/vernacular, qui combine l’oracle (une vision du futur) et les traditions vernaculaires, est ainsi né pour les décrire.
Vous êtes aujourd’hui chargées de cours en master à Sciences-Po Aix, que cherchez-vous à transmettre à vos élèves ?
On dit souvent aux étudiants spécialisés en art que leurs études ne servent pas à grand chose… Nous sommes persuadées du contraire ! On le sait depuis Gramsci, une révolution culturelle précède toujours une mutation sociétale. Alors que tous les marqueurs de fin de société sont au vert, nous devons imaginer une autre société que celle que nous connaissons et qui arrive à son crépuscule. La génération actuelle va devoir repenser les institutions, imaginer une manière de créer qui n’épuise pas les ressources et favorise le vivre ensemble différemment. On doit sortir de l’anthropocentrisme et imaginer des chemins de traverse. Pour cela, nous exposons souvent dans nos cours à Sciences-Po, dans les Universités d’Histoire de l’Art ou aux Beaux-Arts, l’Histoire telle qu’elle est le plus souvent exposée, puis les contre-points de ce courant dominant, vecteur du type de pouvoir qui l’a construite. On cherche ainsi à brouiller les idées reçues afin que les étudiants se posent des questions et commencent à creuser vraiment leurs sujets afin qu’ils aient un impact sur l’avenir au delà de la doxa.
Quelle sera votre prochaine exposition ?
Nous venons juste d’ouvrir « Les chemins du Sud – une théorie du mineur » au MRAC (Sérignan) : elle sera visible jusqu’en novembre. Nous participons également à l’exposition collective « Le dandy des Gadoues » à la Galerie (Noisy-le-Sec) et à Istanbul Contemporary, mais notre prochaine exposition de grande ampleur sera à l’Abbaye Saint-Victor de Marseille en avril 2020. D’ici là… nous écrivons un livre qui résume nos théories !