Antoine Dubuquoy, vous êtes consultant chez Image7, spécialiste de l’usage des réseaux sociaux et de l’e-reputation et l’auteur d’un livre « Twittus Politicus, Décryptage d’un media explosif ». Pouvez-vous nous expliquer comment Twitter s’inscrit aujourd’hui dans la vie politique ?
Twitter n’est pas limité au champ politique. C’est un outil – j’insiste sur le mot « outil » protéiforme, totalement plastique, qui permet une communication désintermédiée ; communication horizontale dans laquelle toutes les barrières hiérarchiques ont été, du moins en théorie, abattues. Le politique peut communiquer directement avec son public, il devient un média à part entière et entre de facto dans une logique de conquête d’audience. Il est confronté à la concurrence d’autres acteurs utilisant le même canal de communication, eux aussi à la conquête de leur audience propre. La limite de l’exercice, c’est d’une part d’être entendu et d’autre part d’être écouté. On s’exprime dans un brouhaha permanent où il est parfois complexe de distinguer le signal du bruit. Comment émerger, comment se faire entendre ? Un discours clivant facilitera la conquête de l’audience. En passant de 140 à 280 caractères, le discours s’est un peu enrichi, mais les formulations laissent peu de place à la nuance. Par ailleurs, et c’est l’autre point-clé pour bien comprendre le rôle de Twitter dans le champ de la communication – et pas uniquement politique -, désintermédiation implique exposition. L’utilisateur est nu face à son public. Il doit avoir le cuir tanné pour encaisser les coups de boutoirs non seulement de ses détracteurs mais aussi de trolls qui ne sont ni dans le dialogue ni dans la construction, juste dans l’invective et l’insulte.
Twitter a permis notamment aux groupes minoritaires ou extrêmes de bénéficier d’un canal d’expression dont on peut déplorer les dérives idéologiques, sémantiques ou sectaires. On peut constater – impression générale non corroborée par une étude scientifique, juste un constat ou une intuition – que la parole s’est libérée et que le discours s’est radicalisé. Chaque utilisateur a progressé dans l’utilisation de l’outil. Twitter est un espace de liberté d’expression absolu totalement ambivalent. S’y côtoient le pire et le meilleur. On a pu considérer un temps que Twitter n’était qu’un monde à part, un univers parallèle où régnait l’entre-soi. On ne peut que constater qu’il est le reflet fidèle de l’époque. Un véritable miroir. A ce titre, l’utilisation qu’en fait Donald Trump notamment, mais aussi les partis extrêmes ou mouvances religieuses radicales exacerbent les passions et radicalisent les échanges.
Twitter permet à l’homme ou la femme politique de se passer de l’intermédiation des journalistes et même d’aller sur une communication plus personnelle, quelles sont pour vous les conséquences majeures de cette nouvelle donne ?
La conséquence majeure : une parole sans filtre. Donc censée être plus authentique, voire plus crédible. Du point de vue de la communication, on passe à une approche plus horizontale, moins top down. C’est un outil de communication de proximité. Pour le follower, c’est l’occasion de pouvoir interagir directement avec une personnalité inaccessible. L’occasion d’engager le dialogue et d’exprimer directement ce qu’il a sur le cœur. Dans un contexte de libération absolue de la parole, c’est la possibilité pour l’utilisateur d’interpeller publiquement son interlocuteur. On a pu constater ces derniers temps que le dialogue s’étiolait et évoluait vers une grande violence verbale, le clavier et l’écran étant des paravents confortables. Par ailleurs, on peut observer toutes les dérives du débat public actuel, dans certaines minorités ou groupes : impossibilité du dialogue, bulles de filtre, exacerbation de l’entre-soi et biais cognitifs. Le simple fait qu’on vous interdise la parole ou l’échange sur certains sujets parce que vous faites partie d’une majorité dominante en est l’une des illustrations les plus flagrantes. On ne débat qu’entre personnes partageant le même point de vue à quelques détails près. Twitter était déjà un outil de militantisme avec la juxtaposition de communautés d’intérêt évoluant en parallèle et se rencontrant peu. Le militantisme, de tous bords politiques, féministe, religieux, antiraciste, suprémaciste, anti-spéciste, vegan, antivax, etc. dérive souvent vers un sectarisme pur et dur.
Twitter permet aussi la propagation des fakenews à une échelle et à une vitesse jamais atteintes, inscrivant dans la sphère politique un relativisme général de la vérité, pensez-vous que la démocratie pourra survivre à Twitter ?
L’impossibilité du dialogue – un paradoxe pour Twitter qui est par essence un outil conversationnel – enferme certains utilisateurs dans leurs convictions. Twitter devient un outil de propagande qui permet de conforter les convaincus dans leur certitude d’être dans le vrai. On peut par ailleurs faire le même constat à propos de Facebook. On retrouve dans les deux réseaux sociaux la même difficulté à confronter les points de vue et débattre de façon rationnelle et argumentée. Le nombre de caractères restreint de Twitter est un accélérateur de passions négatives ! Twitter vire souvent au tribunal populaire. Une justice expéditive où la présomption d’innocence n’existe pas, où au final, pour ne pas s’exposer, pour ne pas subir d’attaques, il ne faudrait se tenir à un discours politiquement correct très neutre pour ne fâcher personne. Twitter devient un univers où tout le monde surveille tout le monde et est prêt à remonter très loin dans l’historique de conversation pour retrouver de vieux messages et les jeter en pâture à la populace pour appeler au lynchage de l’émetteur. Une dérive qu’on pourrait qualifier de totalitaire. La démocratie peut survivre à la condition de ne pas faire de Twitter un absolu et de le ramener à sa dimension de simple outil de communication, complémentaire à d’autres outils. L’instantanéité de Twitter est un poison qui incite à la connexion et la réactivité permanentes. Twitter s’adresse majoritairement au pathos, le logos a tendance à s’effacer. C’est dommage. Trop d’émotions et de passions, pas assez de raison. Il ne s’agit pas de condamner l’outil. Juste de rester vigilant et d’être conscient de ses limites.