« Après ». Le mot résonne comme une promesse ou une crainte, il fige le temps dans une partition particulière créant un « avant » artificiel forcément condamnable, forcément coupable. D’autant plus coupable dans ces temps de cul-de-sac civilisationnel voire d’avenir hypothéqué de l’Humanité. Cet « après » ressemble à une résolution incertaine, invoqué comme détonateur du changement absolu espéré par tous ceux qui voudraient agir pour un avenir « meilleur » mais qui n’osent quitter le confort de leur existence, que la radicalité indispensable à l’avénement d’une civilisation nouvelle demande pourtant en sacrifice.

On espère alors qu’une force extérieure (le COVID-19 en l’espèce) provoquera ce que nous ne parvenons à réaliser, que les forces externes pallieront la faiblesse individuelle. Il y a de l’égoïsme et du confort dans cet « après ». Il y a de cette promesse que les toxicomanes se font à eux-mêmes, « demain j’arrête » ; l’avantage des déictiques, c’est qu’ils nous placent dans un « jamais ». Il y a aussi un peu de ces bonnes résolutions du jour de l’an prises dans la hâte de voir disparaître l’année pleine de tous ces « nous » que n’aimerions pas être et riche de l’enthousiasme de tout ce que nous pourrions être, forcément meilleurs. Pourtant le philosophe — Aristote en l’occurence — nous l’a dit « Rien de plus cruel que de vouloir élever l’Homme à une perfection dont il n’est pas capable »…Comment se nomme une cruauté infligée à soi-même déjà ?

Alors oui, certainement, quand le présent se fige, quand il s’étire sur les murs d’une pièce devenus horizons, quand tout s’arrête brutalement et nous confronte à nous-mêmes et alors que nous ignorons tout de la durée et de l’issue de notre peine, il ne reste que l’espoir et l’imagination. Sans doute. Aventuriers de nos solitudes subies, personnages en quête de l’auteur dans notre glace, cet « après » est tout à la fois notre navire et nos Indes, le chemin et la destination. Mais les mirages n’ont pas besoin de désert et ce que nous voyons à l’horizon, déformé par nos yeux qui ne voient plus le ciel n’est peut-être qu’une illusion de plus.

Le rêve est permis, oui. Tant qu’il ne devient pas mensonge, tant qu’il n’exclut pas les possibles, ne détruit pas les vigilances, ne fait pas de nous des béats. Car c’est dans les troubles éternels que s’érigent les temps sombres, le doute et l’incertitude sont le terreau des ronces sans fleurs. Nous voulons un « après » qui ne soit pas un cauchemar ? Employons ce présent, horizon des événements — qui n’est donc pas « l’avant » — pour remettre à la mode l’examen de conscience.

« Après, morphème situant le procès en postérité par rapport à une date ou une action données ». Le « procès » c’est à nous-mêmes qu’il faut le faire, pas aux autres — toujours fautifs, pas au passé — forcément foyer des turpitudes actuelles, mythologie de nos existences. Montrons-nous dans toute la vérité de notre nature. Ayons le courage de regarder tous nos manquements, nos à-peu-près, nos failures ; contemplons ce qui nous a fait défaut. Ayons le courage de regarder nos faiblesses, le courage de regagner notre place.

Après seulement, en toute humilité, nous pourrons penser « l’après ». Et il sera à hauteur d’Homme. Et ce sera déjà bien.