Michèle Bréhier vous êtes étudiante en génie mécanique à l’ENS, comment s’est faite votre orientation ?

En troisième, au moment de m’inscrire au lycée, je devais choisir un ‘enseignement d’exploration’ et j’ai choisi sciences de l’ingénieur. Cela m’a permis de découvrir ce domaine et j’ai continué en première et en terminale. C’est l’option avec laquelle j’ai passé le Bac S SI. J’ai eu envie de rentrer dans une école d’ingénieur, notamment l’école des arts et métiers qui m’avait été présentée par une une élève passionnée au forum du lycée. Je suis donc naturellement allée en prépa PT. J’aimais bien les sciences qui y étaient enseignées, mais plus particulièrement la mécanique. Je me suis renseignée sur les différentes écoles qui proposaient une formation dans ce domaine. Mes professeurs venant de l’ENS Paris-Saclay m’ont recommandé cette école ainsi qu’une amie l’ayant intégrée l’année d’avant. Ce qui m’a particulièrement attiré dans cette école, c’est qu’on y fait que des sciences. J’allais donc pouvoir me consacrer aux seules matières qui me plaisaient, et pousser au maximum la partie scientifique de mes domaines d’intérêt. En première année à l’ENS, nous avons la possibilité d’essayer trois domaines des sciences pour l’ingénieur (Génie Civil, Génie Mécanique et filière électronique). Le fait de voir les autres domaines m’a confortée dans l’idée que la mécanique était mon domaine préféré.

Avez-vous connu des remarques ou difficultés parce que vous êtes une femme ?

En troisième et en seconde, j’ai fait mes choix en fonction de mes goûts et à la lecture de la description des cours. Je ne m’étais ainsi jamais posée la question de savoir s’il y aurait des filles dans tel ou tel cours. Ainsi, j’ai été très surprise la première fois où j’ai senti que cela posait problème ; ne m’ayant auparavant jamais posé la question sur une problématique de genre au moment de choisir mon orientation. En terminale, mes professeurs, surtout femmes, me décourageaient à faire une prépa orientée sciences de l’ingénieur, disant que « je n’y serai pas à ma place ». En prépa PT ensuite, les deux classes représentant une centaine d’élèves, nous étions seulement sept filles. C’est là que j’ai senti pour la première fois un traitement particulier de la part de certains professeurs. Une expérience qui m’a particulièrement marquée a été un professeur de SI qui à la fin de la présentation de mon travail m’a dit « vous féliciterez la personne qui vous a fait ça parce que c’est du bon travail ».

Comment abordez vous la question de l’égalité femmes-hommes ? 

Je pense que c’est l’un des tout premiers enjeux de la société d’aujourd’hui. Je suis particulièrement sensible à cette question. Je m’emploie depuis quelques années à faire tout mon possible pour sensibiliser mon entourage sur la question.

Concernant l’autorité (professeurs, administratifs), initialement, je prenais sur moi quand j’entendais des remarques sexistes, me disant que ça ne valait pas le coup d’y accorder de l’importance. Mais petit à petit, j’ai pris conscience de la nécessité de faire remarquer le caractère sexiste et déplacé de certaines remarques. Je suis convaincue que dans une majorité des cas, les gens n’ont pas forcément conscience de l’impact que peut avoir ce genre de remarques qui ont d’autant plus de poids quand elles viennent de personnes d’autorité.

Chez mes amis, cela s’était inscrit comme une forme d’humour qui s’est un peu banalisé. Des remarques de ce genre étaient habituelles mais reconnues comme de l’humour et banalisées dans le milieu de la mécanique. Au début, il a été difficile de faire comprendre que certaines de ces blagues allaient trop loin. J’ai donc commencé à « buzzer » (comprendre avertisseur sonore violent) pour qu’ils se rendent compte de la quantité de remarques qu’un simple repas au restaurent universitaire pouvait générer. Finalement, ils se sont pris au jeu de faire attention à ce type de remarques et à « buzzer » à leur tour.

Cette année, dans ma formation, j’avais la possibilité de choisir le projet sur lequel je voulais travailler tout au long de l’année. Avec ma responsable de formation, nous nous sommes intéressées au recrutement des élèves à l’ENS en sciences pour l’ingénieur et plus particulièrement au recrutement des filles. Nous avons enquêté au sujet des motivations des élèves de prépa, à leur sensibilité vis-à-vis des présentations de l’école puis aux critères de choix des élèves une fois rentrés dans l’école, critères qui les conduisent à choisir un département de sciences fondamentales plutôt que celui des sciences pour l’ingénieur. Ce travail nous a permis de proposer des solutions à mettre en place pour améliorer notre communication auprès des élèves et donner davantage d’opportunités aux filles de se projeter dans les départements de sciences pour l’ingénieur. Nous avons par exemple réalisé une vidéo dans laquelle nous présentons les sciences pour l’ingénieur à l’ENS en interviewant à peu près autant de filles que de garçons, toutes et tous aux parcours variés, pour permettre aux élèves de s’identifier.

Enfin, je suis particulièrement attentive à la question de l’égalité en ce qui concerne l’éducation de mes deux très jeunes sœurs. En cherchant, par exemple, des histoires originales à leur raconter où les princesses n’ont pas besoin de princes, où les petites filles jouent avec des tractopelles. L’une va ainsi chercher ses baskets côté garçon dans les boutiques pour avoir ‘’des chaussures qui courent très vite’’.

Comment pouvons nous agir pour plus d’égalité ?

Le gros du travail se fait d’après moi au niveau de la sensibilisation sur la question de l’égalité. Je pense que beaucoup n’ont juste pas conscience de ce qui se passe et qu’une fois la prise de conscience effectuée, les solutions se mettront en place plus facilement, si ce n’est d’elles-mêmes. Cette sensibilisation doit avoir lieu à tous les niveaux, dès le plus jeune âge, en montrant que les métiers et les possibilités pour le futur ne sont jamais cloisonnés. Il faut également sensibiliser les jeunes sur le sexisme ordinaire pour éviter que des jeunes filles ne se sentent pas à leur place. Tous ces conseils s’appliquent également aux adultes, notamment aux figures d’autorité (parents, tuteurs, professeurs…), dont l’avis compte énormément dans l’évolution des plus jeunes.

Quels conseils donneriez-vous à des jeunes filles qui se refusent à un métier d’ingénieur car trop masculin ?

Je leur dirai que la question ne doit même pas se poser. Peu importe qu’il y ait plus d’hommes ou de femmes dans ce domaine, l’important c’est ce que, vous, vous voulez faire. Il serait vraiment dommage de se priver de faire quelque chose qui vous plaît sous prétexte que, jusqu’à aujourd’hui, cela intéressait d’avantage les garçons.