Ce mois-ci, j’ai choisi de me pencher sur les conséquences de notre entrée dans l’ère numérique pour les démocraties libérales. Si ce que nous avons nommé le Printemps Arabe avait fait des plateformes les alliés des révolutions démocratiques, cela nous semble maintenant loin et les plateformes nettement moins salvatrices. Alors que l’exercice politique des démocraties occidentales trouve ses règles et son esprit dans la Grèce classique, il est aujourd’hui ébranlé par les géants du numérique qui redistribuent les cartes avec une force et une violence inédites.

Ce degré d’ébranlement est permis par des effets s’additionnant. Au premier chef, la vitesse de propagation d’une nouvelle qui donne aux fausses informations un poids inédit, renouvelant même son usage. Le mensonge n’est pas une idée neuve en politique mais diffère ici la distance prise par rapport à la vérité par les acteurs politiques, la vérité ne relevant maintenant plus que de la relativité.

De plus, le caractère proprement mondialisé de ces plateformes ouvre aussi une nouvelle typologie de brèche à l’ingérence internationale dans un débat national. L’élection de Trump, le vote du Brexit, le rôle des comptes russes relevé tout au long de l’épisode des Gilets Jaunes, voici autant d’exemples d’une participation active étrangère. L’exercice diplomatique est donc lui aussi questionné d’autant plus que les GAFAM et BATX ont des discours messianiques et des ambitions étatiques – et il est alors amusant de regarder les convergences de volontés des libertariens de la Silicon Valley et des entrepreneurs du numérique issus du communisme chinois (éducation, infrastructures, sphère d’influence, encadrement des utilisateurs, les exemples de similitudes de discours sont nombreux). Nous ne pouvons plus ne pas envisager les Wechat, Alibaba, Amazon, Google et Facebook autrement que comme des empires dont les frontières ne sont certes pas définies sur une carte mais dont l’influence est réelle (câbles de communication posés par Facebook et Google, poids financiers des géants de la tech., E-Route de la Soie d’Alibaba développée en parallèles des Nouvelles Routes de la soie du gouvernement chinois, « passeport » de connexion facebook…).

Les réseaux sociaux – qui méritent de plus en plus un glissement sémantique vers médias sociaux – jouent aussi un rôle dans la modification des pratiques politiques. Ces espaces de discussion propulsent la parole des citoyens jusqu’ici exprimée lors d’élections, de sondages à la rigueur, de manifestations publiques ou sinon confinée à une sphère privée. Une parole qui se donne à lire sans filtre et sans arguments, interpellant les différents acteurs, relayant des informations, renforçant les opinions car dans un espace d’expression réduit (240 caractères) il n’y a pas de place pour la nuance. Et ces écosystèmes clos accentuent les bulles de filtres qui font sortir du corpus de référence des internautes toute opinion autre que la sienne… Et je me suis demandé quel type de menaces ils représentaient pour la démocratie.

Et comme me l’a expliqué Antoine Dubuquoy, l’auteur de Twittus Politicus, les réseaux sociaux et Twitter en particulier ont transformé la parole même des politiques, faisant voler en éclat l’intermédiation journalistique ou la retenue et faisant entrer de plain pied la politique dans l’ère de la mise en scène de soi.

On le voit le sujet est vaste, questionne de nombreuses pratiques, fait craindre souvent le pire à l’heure des réveils des populismes. Mais, ce serait oublier un peu vite que le numérique n’est qu’un moyen, et les acteurs de la Civic Tech nous montrent la voie vers de nouvelles possibilités, de nouvelles écritures et de nouvelles pratiques.

Rappelons que la Civic Tech est l’usage de la technologie dans le but de renforcer le lien démocratique entre les citoyens et le gouvernement. Cette dénomination englobe toute technologie permettant d’accroître le pouvoir des citoyens sur la vie politique, ou de rendre le gouvernement plus accessible et efficace. Nous sommes donc partis à la rencontre de deux figures des Civic Tech françaises.

Leonore de Roquefeuil , cofondatrice de Voxe.org, dans notre entretien, raconte comment elle redessine l’usage de la démocratie, répond aux défaillances, et inscrit le politique dans le XXIème siècle

Antoine Brachet, directeur Exécutif de Bluenove, dans une interview passionnante en marge du Grand débat nationale montre que l’intelligence collective existe, qu’en la faisant émerger nous pouvons co-construire la démocratie et les règles et que nous pouvons même grâce à nos imaginaires dessiner le monde de demain, loin des dystopies trop répandues.