Deborah Pardo, vous êtes chercheuse à Cambridge, lauréate du projet Homeward Bound et travaillez sur le déclin de populations d’espèces menacées dû aux actions de l’Homme, pouvez-vous nous en dire plus sur l’objet de vos recherches ?

Je viens de terminer un post-doc de 3 ans à l’institut polaire britannique à Cambridge qui suivait la thématique de ma thèse sur la démographie des albatros. Cette famille d’oiseaux marins emblématique est une des plus en danger d’extinction au monde, mon rôle était de mettre au point des modèles mathématiques à partir de décennies de données de milliers d’individus bagués pour mesurer le rôle de la pêche industrielle et du changement climatique dans ce déclin. Je donne ainsi des conseils aux organismes de conservations. Lorsque j’étais en congés maternité, ma thésarde australienne m’a parle de Homeward Bound, ce programme est une formation d’élite en leadership, stratégie et visibilité pour les femmes scientifiques qui culmine avec une expédition en Antarctique. En décembre 2016 nous sommes parties, j’étais la seule française et nous étions la plus grande expédition 1000% féminine en Antarctique de l’histoire !

Comment vous est venue l’envie de travailler sur ce sujet ?

Depuis toute petite en farfouillant dans le jardin de mes grands parents et en dévorant les documentaires animaliers à la télé, j’étais passionnée par les animaux. Apres un stage chez un vétérinaire qui m’a plutôt déçue, j’ai vite réalise que ce que je voulais c’était garantir la pérennité des espèces sauvages dans leur milieu naturel, et que pour cela il fallait les comprendre. Je me suis alors dirigée vers le métier de chercheur à travers un cursus universitaire international. J’ai fait des stages sur les oiseaux marins des iles de Méditerranée et j’avais beaucoup aime, car on travaillait de nuit sur les falaises dans le parc national de Port-Cros et que travailler sur les oiseaux marins nous emmène toujours dans des sites magnifiques avec des problématiques environnementales importantes. En Master j’ai décidé que je voulais faire de la démographie car c’est justement ce qui permet de mesurer les paramètres de croissance ou décroissance d’une population et d’ainsi pouvoir les protéger le plus efficacement possible. Le lien avec les oiseaux marins s’est fait tout naturellement car mis a part leur isolation sur des iles, ils sont relativement faciles a suivre individuellement par rapport à des mammifères. On bague un individu poussin, au bout de quelques années il revient sur son site de reproduction, se reproduit souvent dans la même colonie, dans le même nid et avec le même partenaire d’année en année. Grace à cela on peut avoir un suivi démographique de qualité et donc faire des analyses poussées. Les jeux de données sur les albatros des terres australes et antarctique françaises et anglaises sont parmi les meilleurs du monde. Et puis c’était aussi pour moi une grande fierté de travailler sur ces espèces qui captivent de suite l’attention de mes audiences et que j’utilise aujourd’hui comme un symbole puissant de la relation inefficace en Homme et Environnement.

Quel a été votre parcours pour arriver où vous en êtes ?

Marseillaise d’origine, âpres un Bac S, je suis entrée à l’Université d’Aix-Marseille. Apres 2 ans de tronc commun en sciences j’ai fait les démarches pour faire une année ERASMUS à l’université d’Uppsala en Suède. En plus de me rendre bilingue cette année a été une révélation sur la force des collaborations internationales que l’on peut développer. A mon retour j’ai été prise dans un des masters Biodiversité, Ecologie, Evolution les plus compétitifs à Montpellier ou je travaillais sur les mouettes en Norvège. Puis j’ai décroché ma bourse de thèse de l’université Pierre et Marie Curie mais basée au centre d’Etudes Biologiques de Chize dans les Deux-Sèvres sur la démographie des albatros. Je suis de suite partie 3 mois sur le terrain à Kerguelen, c’était absolument incroyable de travailler en équipe en totale isolation au milieu d’une colonie sublime de milliers d’albatros à sourcils noirs. Je suis revenue hyper motivée, ait bosse dur pour faire de bons papiers et décroché ma thèse avec félicitations du jury. Un mois plus tard un spécialiste des albatros au British Antarctic Survey de Cambridge venait de décrocher une bourse pour étudier les albatros anglais, il m’a contacte directement et j’ai donc travaille 3 ans avec eux. Je viens de terminer, le programme Homeward Bound m’a donne des ailes car il a développé mon coté communication scientifique, et business woman et innovation… j’ai été élue top 20 des femmes qui innovent en France en 2017 d’après la Tribune ! Ce programme et les femmes incroyables que j’ai rencontrées m’ont également fait réaliser ma frustration de travailler sur des choses tellement précises et théoriques que j’ai l’impression de ne pas avoir assez d’impact pour faire avancer la protection de notre planète qui se dégrade à très grande vitesse et la sensibilisation des enfants, entreprises, politique et grand public a un mode de vie plus éco-responsable. Aussi du cote personnel cela a été très difficile, mon fiance m’a attendue 5 ans à Marseille pendant que je bougeais partout puis m’a suivi a reculons a Cambridge, ca a été très dur pour nous. L’arrivée du bout de chou et le programme Homeward Bound nous a convaincus de revenir vivre à Marseille cet été pour mieux concilier vie personnelle et professionnelle, même si cela implique de sortir du milieu académique pour moi.

Vous vous êtes intéressée au sexisme dans le monde des sciences, quelles ont été vos motivations ? Quel constat avez-vous fait ?

Ce n’est pas vraiment que je m’intéresse au sexisme, j’avais un coté féministe sous jacent qui a été exploité a travers le programme Homeward Bound. On veut donner les clés aux femmes pour qu’elles osent et puissent prendre des plus grosses responsabilités car c’est prouvé, elles ont un mode de leadership plus inclusif, collaboratif et porte sur le long terme. En plus de cela, les femmes ont une relation particulière avec l’environnement, elles sont plus affectées par le changement climatique dans le monde entier, elles sont plus conscientes de la gravite du problème et plus proactives que les hommes, tout cela est prouve statistiquement. C’est bien plus gros que parler de sexisme, c’est montrer que prendre en compte la diversité de compétences peut permettre de donner un élan nouveau pour le future socio-économique et environnemental de la planète. Ça ne s’adresse pas que aux femmes mais à toutes les minorités, et pas que aux scientifiques mais a tous les domaines ou les hommes blancs de la cinquantaine et d’une classe sociale bien définie prennent les décisions pour tout le monde. Je veux continuer à 31 ans de me battre pour que les femmes en leadership soient plus reconnues car je pense et je ne suis pas la seule, que c’est un des meilleurs moyens de sauver la planète aujourd’hui.

Entre la promotion du leadership féminin dans les sciences, vos recherches et le projet Homeward Bound avez-vous d’autres projets en tête ? 

Maintenant de retour en France, avec un réseau très élargi suite a tous les soutiens financiers que j’ai réussi a avoir pour mon expédition, avec cette détermination pour avoir de l’impact et la difficulté de trouver un poste au CNRS ou à l’université pour poursuivre mes recherches sur les albatros. Je fais désormais partie d’une équipe de professionnels qui m’ont pris sous leur aile pour donner des conférences et formations dans les grandes entreprises. J’apprends énormément et mon profil atypique est apprécié et me rend très crédible pour parler du rôle de l’homme dans les changements planétaires et de ce que l’on peut faire pour y remédier, d’intelligence collective et de stratégie pour activer le changement, et de relation entre bonheur et environnement. En parallèle je développe un programme éducatif pour 4 niveaux de collège base chaque semaine sur un oiseau marin et toutes les choses dont on peut parler autour de cela (géographie, histoire, géologie, écologie, philosophie, politique…) pour sensibiliser des jeunes en difficulté sociale à la protection de l’environnement. Je les amène en fin d’année faire un voyage scolaire au Spitzberg en espérant générer des vocations. Même si ma situation professionnelle reste précaire, je suis très heureuse de rajouter ce coté humain à mon travail de scientifique.

Pour terminer, quels conseils donneriez-vous aux jeunes filles qui n’osent pas se lancer dans un parcours scientifique ?

Vous avez tous les moyens d’y arriver, n’hésitez pas à prendre des risques vous n’avez rien à perdre mais tout à gagner et apprendre, sortez du moule de la petite fille idéale que la société vous a construit. Le monde est à vous, ouvrez vous aux autres, à différentes disciplines, que vous sachiez ou non ce que vous voulez faire, déplacez les murs pour en apprendre le plus possible et cumuler plein de compétences utiles et variées. Le futur est d’être multitâche pour pouvoir toujours rebondir et s’éclater.