J’ai voulu comprendre les stratégies mises en place par la chaîne d’info, France Info TV. De ses objectifs à son fonctionnement à l’heure des réseaux sociaux, j’ai donc posé mes questions à son directeur, Alexandre Kara.

Alexandre Kara, vous êtes directeur de France Info TV, quelles missions assignez-vous à la chaîne ?

Avant tout, c’est d’être une chaîne d’information. Cela peut paraître évident pourtant ce n’est pas le modèle sur lequel elle a été pensée. Donc la première mission pour moi c’est d’être une chaîne réactive, c’est-à-dire de donner l’information au moment où elle se passe. A ce titre là nous sommes une chaîne d’info comme les autres.
Affirmer sa singularité, c’est la deuxième mission que je conçois pour France Info Tv. Cette singularité se pense aussi bien dans le traitement de l’information chaude, que dans un nécessaire recul via une mise en perspective toute à la fois pédagogique et pluraliste. Il me semble primordial que nous soyons capables d’expliquer l’actualité grâce à plusieurs portes d’entrée et grilles de lecture.

Donc si je comprends bien, l’information chaude n’est pas le seul temps de France Info Tv ?

Effectivement. L’information chaude est bien évidemment un impératif, elle ne doit simplement pas être le seul temps. France Info Tv doit gagner son public via cette actualité et le garder sur le temps de la compréhension et de l’explication, sur ce temps moins brûlant qu’est celui de la pensée.

Si nous prenons un exemple récent, quelle est votre ligne de traitement des Gilets Jaunes ?

Concernant les Gilets Jaunes, nous avons décidé de traiter l’actualité parisienne liée à cette crise mais aussi son actualité régionale – au même niveau si ce n’est plus – et celle des outre-mers. Et cela sans occulter le reste de l’information, c’est-à-dire en essayant de redonner aux Gilets Jaunes leur place dans l’actualité, sans le minimiser mais sans leur donner une ampleur qui ne serait pas réelle.

Ensuite sur le traitement propre des Gilets Jaunes, nous avons choisi de réunir différents spécialistes, pas des politologues et des communicants, mais des universitaires – sociologues, politologues, historiens… – et des politiques, pour tenter de comprendre le mouvement. Relativement peu de Gilets Jaunes en plateau car nous avons estimé que la parole leur était donnée sur le terrain.
Je pense que la consigne la plus impérative est de ne pas scénariser ce qu’il se passe. Tout comme l’utilisation des images de violence est extrêmement encadrée : j’ai demandé à ce que cette typologie d’images soit toujours contextualisée, expliquée. J’attache la plus grande exigence quant aux images prétextes (images d’illustration), il me semble qu’il ne faut pas tomber dans la facilité d’images hypnotiques.
Par exemple, nous avons tous en tête cette image des lycéens agenouillés les mains sur la tête lors d’une opération de police, l’utilisation de ces images a été strictement encadrée et restreinte à un contexte d’explications.

L’idée est toujours de prendre du recul par rapport à l’information, de comprendre ce qu’elle peut signifier, de s’extraire de l’émotion pour aller sur le terrain de la réflexion.

Le numérique et les réseaux sociaux ont dessiné un nouveau rapport entre les médias et les publics, comment intégrez-vous cette composante ?

D’un point de vue structurel d’abord. Nous avons décidé il y a quelques mois de rapprocher physiquement le broadcast et le numérique : nous privilégions une interpénétration des deux rédactions pour permettre à la télévision d’être sensible à ce qu’il se passe sur la sphère numérique.
Nous avons une émission très représentative de cela, « Le Live » qui est une sorte de dialogue continu avec les gens qui nous suivent sur l’appli. Concrètement, nous avons sur le plateau des écrans qui nous permettent de suivre les interrogations que les questions d’actualité suscitent. Les anchormen & anchorwomen ont comme consignes de s’en servir pour alimenter l’émission qui doit se nourrir de ces commentaires, dans une optique de co-construction avec les téléspectateurs.
Autant les réseaux sociaux et leur violence n’auront aucune incidence sur notre ligne éditoriale à strictement parlé, autant nous sommes attentifs aux remarques qui sont faites, aux questions que cela suscite, aux éclaircissements demandés ou même si cela se révèle nécessaires aux précisions à apporter.

Faites-vous une veille éditoriale sur les réseaux sociaux ?

Nous écoutons bien sûr les réseaux sociaux. Il nous arrive d’y repérer des sujets que, s’ils nous semblent pertinents, nous traitons mais toujours en respect avec notre ligne éditoriale et notre volonté de prendre du recul.
Mais nous ne nous arrêtons pas là, nous pouvons provoquer l’interaction avec les réseaux sociaux, par exemple en décembre dernier nous avons lancé le hashtag #AlertePollution transformant les spectateurs en lanceurs d’alerte : nous avons ainsi envoyé des équipes de journalistes enquêter sur les délits qui n’ont été rapportés.

J’aimerais maintenant que nous parlions des fake news, qui, si elles ne sont pas nouvelles, se propagent plus vite et à un plus grand nombre, quelle stratégie est mise en place par France Info Tv face à ce phénomène ?

Nous avons plusieurs outils mais avant tout le maître mot est de ne pas diffuser une information avant qu’elle ait été vérifiée, même si cela prend plusieurs heures
Côté radio, nous avons une agence de vérification de l’information, côté télévision nous avons plusieurs partenaires : par exemple nous travaillons avec des startups spécialisées dans la reconnaissance des images afin de connaître leur provenance.

Nous avons une vigilance particulière autour de la manipulation de l’information cela englobe aussi bien les fake-news, les fausses images, le complotisme, les documents trafiqués. Sur le site France Info nous avons un onglet « Vrai ou fake » qui y est consacré. Et d’ici 3 semaines nous aurons un hebdomadaire consacré à ce sujet particulier car en tant que chaîne d’information il me semble primordial d’aller au-delà des simples fake news pour traiter la manipulation de l’information dans son ensemble.